Je croyais cette affaire close définitivement par la sortie au grand jour du rapport Lemaire de 1993. Mais à l’occasion de cette publication apparait une interrogation sur l’action exacte de Dautray au dernier trimestre de 1967 et au premier semestre de 1968, ainsi que sur sa responsabilité réelle dans l’établissement de sa fausse réputation de « père de la bombe H française».
Pour mener à bien cette investigation, nous nous appuierons sur les récits des faits par les témoins directs de l’époque, notamment de Billaud(1) et de Lemaire(2), et sur la relation de Dautray dans son livre de 2007(3).
Le 5 septembre à Valduc Viard clôt le colloque H en inscrivant au programme de tirs de 1968 deux engins TAS de Dagens, et un engin de Carayol « pour ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier ».
Que va-t-il se passer ensuite ? La mécanique bien huilée de la DAM va se mettre en branle. Des chefs de projets seront désignés pour diriger la préparation des expériences sur ces deux filières, des équipes spécialisées constituées dans les services théoriques et technologiques.
Vraisemblablement, au bout de quelques semaines, on va se rendre compte que la filière TAS, déjà malade du piètre résultat du récent essai, est une impasse incapable d’aboutir à des résultats vraiment thermonucléaires, et qu’en revanche l’engin de Carayol est viable et prometteur.
Puis, surprise, le 19 septembre(4), un messager de Londres nous apporte la nouvelle que c’est bien la filière Carayol qui est la bonne, et le surlendemain la DAM revoit ses projets en ne retenant que la filière Carayol. Deux chefs de projets sont désignés dans la foulée pour les deux engins mégatonniques prévus.
Les dés sont jetés, toute la DAM s’attelle à son nouveau programme dans l’enthousiasme. Dautray n’est plus utile à nos réalisations, il est hors jeu. Pour l’occuper puisqu’il fait tout de même partie de la maison, Viard le charge de l’information du ministre. Il est apparu plus tard qu’on l’avait aussi chargé d’assurer la liaison avec le scientifique anglais origine du tuyau du 19 septembre, avec pour mission essentielle de recueillir d’autres renseignements. Mais cette mission était confidentielle et ignorée des exécutants de la DAM. Son rôle de directeur scientifique qui était passé complètent inaperçu avant la promotion de l’engin Carayol le 19 septembre (aucun exposé oral, ni de rapport écrit, sur la question thermonucléaire), a continué ensuite à rester nulle.
On connait le dénouement heureux des deux expériences H réussies le 24 août et le 8 septembre 1968.
Il est perdu, désemparé, car il n’a pas encore réalisé la nature profonde de la DAM, espèce d’usine à produire des expériences, ni la mentalité « engins » de ses principaux agents, ingénieurs avant tout. Son intelligence exclusivement analytique ne lui fait percevoir qu’un ensemble disparate d’acquits scientifiques, la compression froide de Billaud, les analyses des réactions dans le DLi de Dagens, et surtout le schéma de Carayol, auxquels il faut ajouter, bien sûr, les études de la filière TAS. Incapable de synthèse, il n’est pas porté à essayer de combiner les bons éléments acquis en un engin nouveau. Que peut-il faire, pour se rétablir en sauveur de la DAM ? Très malin, voulant à tout prix garder sa réputation potentielle, il se raccroche d’une part à la source miraculeuse du savoir anglais, qu’on lui a imprudemment livrée, et d’autre part, il va mettre à profit sa liaison avec l’équipe du ministère pour leur servir un scénario personnel inventé de toutes pièces mais suffisamment vraisemblable, dans lequel il se présente comme le grand manitou génial qui va assurer le succès des prochaines expériences. Tout cela à l’insu des agents de la DAM, grâce au cloisonnement étanche entre les deux organismes imposé par le secret. Ainsi s’expliquera la relation affabulée de Peyrefitte huit ans plus tard (5), basée à l’évidence sur les souvenirs de ses anciens conseillers, témoignages que l’auteur négligera de recouper auprès du CEA. Cette relation mensongère sera à l’origine de la brillante carrière de Robert Dautray. Il faut remarquer à la décharge de Peyrefitte que l’histoire que lui ont racontée ses conseillers ne pouvait que le combler de satisfaction. En effet c’était lui Peyrefitte qui avait su dénicher l’oiseau rare Dautray et l’avait imposé à la DAM. Et la France était sauvée ! Comment aurait-il pu soupçonner une tricherie dans l’information de ses conseillers ? Il ne lui est nullement venu à l’idée de vérifier ses informations avant de publier son livre. Quand il l’a fait, il était trop tard et il s’est borné à rajouter en notes qu’avant la « synthèse » de Dautray il y avait eu quelques contributions d’autres scientifiques. Mais le mérite principal restait selon lui à Dautray. Dans le public, y compris les médias scientifiques, on a considéré Dautray comme l’inventeur de la solution, le « père de la bombe H française ». C’est exactement ce que voulait Dautray, et naturellement il s’est bien gardé de rectifier ou démentir. La question morale se pose : en 1967, Dautray pouvait-il intoxiquer ses auditeurs du ministère sans déroger à la simple honnêteté ? Evidemment non! Quand en plus on est un scientifique digne de ce nom, on observe une rigueur absolue dans ses comptes rendus ou communications. En l’occurrence, Dautray s’est permis d’induire sciemment en erreur les collaborateurs du ministre et par voie de conséquence le ministre lui-même et le gouvernement français. Il n’a sans doute pas revendiqué explicitement l’invention de la bombe H, mais il s’est arrangé pour le faire croire, profitant du changement subit et spectaculaire de l’ambiance à la DAM et à la tête du CEA créé par l’arrivée inattendue du tuyau britannique du 19 septembre, maintenue rigoureusement secrète par les quelques initiés : Dautray arrive à la DAM, et, subitement, tout s’arrange et la confiance revient !
Pour s’approprier une découverte venant d’autres chercheurs, il faut faire deux choses. D’une part hypertrophier sa propre contribution quand elle existe, ou l’inventer si elle n’existe pas. D’autre part passer sous silence les contributions des vrais auteurs, ou les minimiser, en taisant soigneusement leurs identités. Comme dans son récit de 1976 Peyrefitte ne fait aucune allusion aux résultats acquis avant l’entrée en scène concrète à la DAM de son protégé, on est bien obligé d’en déduire que Dautray dans ses communications au cabinet du ministre s’est abstenu de mentionner l’apport d’autres chercheurs et les noms de ces derniers. Cette attitude dénote une absence complète de scrupule ou même simplement de pudeur chez Robert Dautray, aveuglé à l’évidence par une ambition démesurée. Qu’a-t-il donc dit alors au juste à ses auditeurs du ministère ? On ne peut que se contenter d’hypothèses vraisemblables. Nous reviendrons sur cette interrogation dans le chapitre suivant.
En page IV de couverture on peut lire ceci :
« Robert Dautray a joué un rôle de premier plan (…).
Il est notamment le « père » de la bombe H française ». Conformément aux usages de l’édition, bien qu’à la troisième personne, cette revendication est de l’auteur lui-même, ou à tout le moins a été approuvée par lui.
Une analyse serrée de la troisième partie du livre de Dautray consacrée à ses activités au sein de la DAM fait apparaître que cet ouvrage vise en premier lieu à rassurer ses proches, qui ne comprenaient pas sa passivité face aux attaques et aux négations de sa paternité H (6). Cette 3e partie est un montage laborieux, et parfois irréfléchi, présentant des failles et des erreurs. Dès le début de cette partie, page 148, on relève une déclaration affirmant que, sans l’aide de nos amis anglais, jamais la France n’aurait pu « inventer sa propre bombe H ». Cette affirmation stupéfiante d’un soit disant patriote est sans fondement, comme nous le montrerons ci-après. Il semble que Dautray, par cette affirmation, tente de faire croire que rien de valable n’avait été accompli par ses collègues chercheurs avant sa propre entrée en scène. Mais il faut d’abord redresser une énorme erreur de calendrier. Dautray, page 170, situe sa première rencontre avec le général Thoulouze (notre messager de Londres) « au début de l’été 1967 ». Or le renseignement anglais nous est parvenu par ce même messager, qui visitait la DAM pour la première fois, , le mardi 19 septembre selon les témoins directs, donc deux semaines après le colloque de Valduc à l’occasion duquel Viard avait inscrit au programme des expériences de 1968 un engin « de Carayol ». Page 176, Dautray mentionne cette inscription, sous l’appellation d’engin « utilisant la pression radiative » pour ne pas citer le nom de Carayol son auteur. C’est donc bien qu’il existait avant le début de septembre un ensemble de résultats acquis pouvant se concrétiser en un engin complet. Comme cette filière s’est révélée par la suite valable et efficace, la décision de Viard garantissait à terme la sortie des difficultés. Le renseignement anglais n’était pas indispensable, s’il est vrai qu’il a accéléré les choses en incitant à l’abandon immédiat de l’autre filière, non valable. Il n’est donc pas possible d’affirmer honnêtement que nous n’aurions jamais pu sortir des difficultés sans l’aide anglaise. Ajoutons ici que la mission d’assurer la liaison avec le général Thoulouze et Sir W. Cook, n’a pu être confiée à Dautray qu’après la réunion décisive du 21 septembre, et certainement pas « au début de l’été ».
Rappelons que le renseignement crucial nous est parvenu de façon sibylline le 19 septembre, et qu’il a été dévoilé à un petit cercle de chercheurs et de directeurs deux jours plus tard, soit le 21 septembre. Lors de cette réunion capitale, Viard a décidé l’abandon des TAS et le lancement de deux expériences thermonucléaires appliquant le schéma de Carayol. Bien que dans son livre il reste vague à propos des relations qu’il a nouées avec le général Thoulouze puis Sir William Cook, Dautray monte en épingle le questionnaire en huit points qu’il aurait remis au général lors de leur première entrevue. En quoi consistaient ces huit questions ? La suite permet de l’imaginer. Page 177 on peut lire : « En face de chacun des phénomènes que j’avais écrits figurait un OUI écrit par André Thoulouze. (...) . Nous étions enfin sûrs des phénomènes physiques fondamentaux nécessaires à l’élaboration d’un engin thermonucléaire ». Ainsi, alors que l’ensemble de la DAM est lancée dans le développement de la filière Carayol, Robert Dautray en est encore à se demander si le schéma de Carayol est vraiment la solution et ce qu’il faut penser de la filière TAS. Malgré la profonde connaissance des phénomènes qu’il est censé posséder, il lui faut attendre les réponses d’un savant étranger ! Et il ajoute : « Ces OUI résonnèrent comme autant de coups de tonnerre dans le ciel de la DAM. Ils marquaient en effet une victoire éclatante pour ma liste et ma description des phénomènes clés, constituant les bases du H, mais ils représentaient une véritable déroute pour le choix du « procédé TAS ». Passons sur le charabia de ce début de chapitre. On croit rêver ! Aucun témoin de cette période ne se souvient de ces prétendus « coups de tonnerre », si discrets qu’ils sont passés complètement inaperçus ! Ce que l’on est en droit d’attendre d’un directeur scientifique censé faire avancer les choses, ce n’est pas une belle liste de phénomènes ou une description de ceux-ci, mais une prise de position claire sur le ou les choix à faire. Cette page 177 apporte la preuve que Dautray, par sa tournure d’esprit, était totalement incapable de nous tirer d’embarras.
Page 174, il reconnait la haute qualité de nos programmes de calcul : « Ces outils mathématiques, numériques et logiciels, étaient si performants qu’ils servirent par la suite à de nombreuses études nucléaires et thermonucléaires. ». Et il ajoute cette énormité : « Ces modèles permettaient, dans le cas du thermonucléaire, de palier l’absence d’intuition physique de certains chercheurs ». Comme si la machine pouvait inventer un engin toute seule ! Là encore, Dautray montre son absence de compréhension des méthodes de travail de la maison. En 1965, Babuel-Peyrissac avait commis le même genre d’erreur, et avait dû être remplacé à la tête de la section fusion. Rappelons une fois de plus comment on opérait couramment à la DAM. Le chef de projet d’engin, à partir d’une idée plus ou moins précise de l’objet à expérimenter (principaux phénomènes physiques mis en jeu, matières utilisées, enchaînement désiré des phases de fonctionnement, architecture générale, etc...), définit un premier objet (formes, masses, cotes), qui sera soumis à la machine par un numéricien. La machine effectue alors ce que l’on appelle une simulation, reproduisant dans le détail sur le papier ce qui se passe dans l’engin, et finalement, les rendements de réactions de fission et de fusion, et enfin l’énergie dégagée, et encore bien d’autres paramètres comme par exemple les taux de création d’isotopes destinés au diagnostic radiochimique, à la suite de l’analyse des résidus, quand l’engin a été effectivement construit et tiré. Cette méthode de travail, qui n’avait cessé de se perfectionner au cours des années, semble avoir complètement échappé à Dautray.
A la page suivante (175), il entreprend de décrire l’invention de Carayol, mais son texte est alambiqué et souvent inexact à propos des phénomènes mis en jeu. Surtout Dautray évite de nommer l’auteur. Après cette rencontre entre Dautray et Carayol, l’absence de manifestation de Dautray montre que ce dernier n’avait nullement perçu l’intérêt du schéma ainsi dévoilé.
Pourtant, page 179, relatant le démarrage résolu de la DAM au début d’octobre 1967 pour préparer les tirs de 1968, il ose écrire : « Nous disposions à travers mes idées, d’un concept ». C’est bien là une revendication formelle de paternité de la solution H, qu’il a pourtant reconnue comme imaginée par Carayol quelques pages avant. Par un tour de passe-passe digne d’un escroc de haut vol, Dautray s’empare de la paternité de la bombe H. Ayant appris que le schéma de Carayol était le bon, il le décortique en phénomènes physiques-clés, puis soumet une liste de ceux-ci à notre informateur étranger qui répond aussitôt positivement. Et, ayant ainsi donné une sorte de nouvelle existence à l’idée de Carayol, il se l’approprie froidement : Nous disposions, à travers mes idées, d’un concept. Et il prétend prendre les choses en main : « Il me faudrait faire une esquisse générale. Et les scientifiques devraient ensuite réaliser un plan détaillé sous ma direction ». Ces phrases expriment le rêve d’action de Dautray qui lui est venu après coup, car rien de tout cela n’a existé dans la réalité. Les deux projets d’expérience H ont été entièrement pris en main par les deux chefs Bellot et Billaud, et menés à bien sans aucune intervention de Dautray, qui était d’ailleurs occupé par ses liaisons auprès du cabinet du ministre, et d’autre part par le « traitement » de notre informateur étranger. On retrouvera plus loin dans le livre (pages 180-185) le récit détaillé des actions imaginaires de Dautray auprès des chercheurs, des services, et des chefs de projet. Parmi les 8 points de son action supposée, on trouve une erreur, point 3. Le bouclier antineutrons qu’il demande d’étudier avait été rapidement écarté du programme, car inutile d’une part, et gênant le passage du rayonnement de l’amorce vers la boule H. Pourtant il insiste page 184 : « En février 1968 (...) nous avions (...) résolu un problème épineux : J’avais réussi à imposer la composition et la géométrie d’un « bouclier neutronique » destiné à protéger le cœur thermonucléaire des radiations dégagées par la bombe A qui servait d’amorce ». Résultat : les deux engins tirés en 1968 ont très bien marché...sans bouclier ! Egalement son allusion au troisième engin est erronée quant à l’objectif de ce projet. Tout porte à croire que ces pages ne font que reproduire les informations erronées et tronquées qu’il avait dispensées au cabinet du ministre en 1967 et 1968. Page 181, il termine l’énumération par cette phrase : « Tout cela fut signé par notes de Jean Viard ». Mais aucun document de ce genre n’a été retrouvé dans les archives lors d’une recherche objective faite en 2008. Et en conclusion de ce long passage, on trouve la revendication suivante : « Dans mon souvenir, je n’éprouvai que le contentement de celui qui était parvenu à coordonner de nombreuses équipes pour faire franchir à son pays un pas important ». Le ministre en fonction à l’automne 1968, Robert Galley, avait fait justice par avance de ces vantardises. Au cours du repas qu’il avait offert le 10 octobre pour célébrer notre récent succès, en déclarant solennellement que les responsables scientifiques de ces succès étaient Billaud, Dagens, et Carayol, sans faire aucune allusion à une contribution de Dautray, qui était présent lui aussi à ce repas.
J’accuse Robert Dautray de détournement de mission à fins personnelles, pour avoir, de septembre1967 à l’été 1968, étant chargé de l’information du ministre, délibérément induit en erreur ses interlocuteurs, et par voie de conséquence le ministre et le gouvernement, en donnant un compte rendu faussé des travaux de la DAM et des progrès accomplis, notamment en dissimulant les résultats acquis avant sa venue à la Dam, et en faisant croire à ses auditeurs qu’il était lui Dautray le seul responsable de ces progrès.
J’accuse Robert Dautray de s’être abstenu de tout démenti public ou privé des propos d’Alain Peyrefitte dans son livre Le mal français publié en 1976 faisant de lui le « père de la bombe H française », et en 1986 leur réaffirmation par Jean Lacouture dans son De Gaulle, ce qui équivalait à faire sienne cette fausse paternité. Par son silence, Dautray a cautionné et entériné cette fausse réputation.
J’accuse Robert Dautray de s’être abstenu de tout commentaire démentant les fausses affirmations d’un article anonyme paru dans Le Figaro du 5 octobre 1993, affirmations offensantes pour ses collègues chercheurs, alors qu’il y avait été invité amicalement. Par son silence il a cautionné cet injuste dénigrement.
J’accuse Robert Dautray, dans le livre (3) qu’il a publié en 2007 Mémoires, du Vel d’Hiv à la bombe H, d’avoir présenté l’affaire H vécue à la DAM sous un jour fallacieux tendant à persuader le lecteur qu’il avait mené l’affaire de bout en bout, avec le succès que l’on connait, privant ainsi de tout mérite les vrais responsables, ses collègues chercheurs.
J’accuse enfin Robert Dautray de détournement de mission, en 1967 et 1968, quand, étant chargé des contacts scientifiques avec un savant britannique, au lieu de rechercher des renseignements utiles, il a mis à profit ses contacts pour vérifier une liste de phénomènes déjà identifiés et traités dans nos programmes de simulation, dans le but de s’approprier l’invention de la bombe H en France, rejetant ainsi dans l’ombre son auteur légitime, l’ingénieur de l’armement Michel Carayol.
Signé : Pierre BILLAUD
17 juillet 2011
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Considérant l’histoire de la bombe H au cours des 60 dernières années, il semble que son invention ait attiré comme un aimant la controverse et la malhonnêteté scientifique.
Aux Etats-Unis nous avons eu droit à un débat acrimonieux, dans lequel les détracteurs d’Edward Teller avancèrent toutes sortes de raisons lui déniant toute chance de succès, et quand il devint évident que sa solution « techniquement suave » marcherait, essayant de minimiser sa contribution d’abord en la qualifiant d’évidente pour un étudiant débutant(1), ou attribuant la découverte majeure à S. Ulam(2), puis à un « groupe d’invention »(3), etc.
Les concepts de Teller-Ulam constituant la solution étaient :
En Angleterre, John Ward revendiqua la redécouverte de l’invention de Teller-Ulam dans une lettre à Lady Thatcher(4). Chose très surprenante, une recherche dans les archives par l’historienne de l’Atomic Weapons Establishment Lorna Arnold(5) ne put retrouver aucune preuve écrite de l’identité de l’auteur de cette fantastique invention…bien que divers scientifiques encore en vie aient désigné Keith Roberts comme responsable en majeure partie de l’élaboration de la solution.
En URSS (aujourd’hui RUSSIE) une recherche dans les archives présidentielles russes par German Goncharov, l’un des développeurs de la RDS-37, première bombe H russe), comme en Angleterre, ne put trouver aucune référence de l’auteur de la conception de Teller-Ulam, et, tout à leur honneur, jamais A. Sakharov ou Y. Zeldovitch n’en revendiquèrent la paternité. Aujourd’hui nous savons qu’un espion à Los Alamos a probablement fait passer l’information(6).
Je passerai la Chine, exemple patent de vol de « design » par espionnage aux Etats-Unis et à l’URSS(7), exposé dans le détail dans un Congress report de 1999.
L’histoire devient encore plus controversée en France, où le général De Gaulle, furieux que la Chine ait la bombe H avant la France, fit exercer une pression sur les scientifiques du CEA pour qu’ils sortent… quelque chose.
Après les réussites expérimentales de 1968, Alain Peyrefitte qui était à cette époque ministre chargé des affaires atomiques, affirma dans son best-seller Le mal français(8) que le succès était dû essentiellement à Robert Dautray, scientifique venant du département des piles de Saclay. Une direction du CEA invertébrée s’abstint de corriger explicitement le ministre.... jusqu’à ce que le qotidien Le Figaro sorte en 1993 une hagiographie éhontée de Dautray réaffirmant la thèse infondée de Peyrefitte.
B. Lemaire, directeur scientifique de la Direction des applications militaires (DAM) du CEA, prit l’initiative de répondre à l’article du Figaro par un rapport non secret(9) sur la naissance de la bombe H (La naissance du thermonucléaire), qu’il envisageait de publier dans le bulletin de la DAM (mensuel accessible au public). Mais Dautray, alors haut-commissaire, empêcha cette publication.
Le rapport Lemaire décrit brièvement la découverte des conceptions-clés, par P. Billaud pour la compression froide du DLi avant inflammation, M. Carayol pour l’implosion du DLi dans une enceinte sous l’action du rayonnement pour atteindre de hautes compressions, et L. Dagens pour l’élucidation des sections efficaces de fusion du DLi et de l’entretien du cycle régénérateur DLi-n-T permettant une combustion efficace.
Nulle part dans le rapport Lemaire n’est mentionné Robert Dautray, « père de la bombe H française » autoproclamé10, comme ayant contribué en quoi que ce soit au processus de découverte. C’est la passivité des dirigeants du CEA qui a crédité implicitement Dautray de cette paternité, favorisant son élection à l’académie des sciences, puis sa nomination au poste de haut-commissaire du CEA.
Evidemment, la question morale surgit : que faire quand quelqu’un s’approprie les découvertes d’autrui pour récolter honneurs et hautes fonctions ?
Oui, que peut-on faire ? En 2011 en Allemagne, le ministre de la défense T. zu Guttenberg a dû démissionner piteusement après qu’on eu découvert qu’il avait plagié certaines parties de sa thèse de doctorat. Un exemple pour Dautray ?
A vous de tirer vos propres conclusions après lecture du document historique ci-joint.
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Looking at the history of the H-bomb over the last 60 years, it seems that its invention was like a magnet attracting controversy and scientific dishonesty.
In the US, we had an acrimonious debate where detractors of Edward Teller came up with all kind of excuses why it would not work, and when it was obvious that the "technically sweet" solution would work, try to dilute his contribution by first denigrating it as "obvious" to any graduate student(1), attributing the main discovery to S. Ulam(2), then to a "group" invention(3), etc.
The Teller-Ulam concepts involved were :
In the UK, John Ward claimed re-discovery of the Teller-Ulam invention in a letter to Lady Thatcher(4). A search of the archives by the Atomic Weapons Establishment historian Lorna Arnold(5) incredibly could not find any written evidence of who the discoverer of such a momentous invention was... although various surviving scientists mentioned Keith Roberts as having done most of the key design work...
In the USSR (now Russia), search of the Russian presidential archives by German Goncharov (one of the developers of the RDS-37, USSR's first H-bomb) , similarly to UK, could not find any documentation of the author of the Teller-Ulam concept, and to their credit, A. Sakharov or Y. Zeldovich never claimed paternity. Now we know that a spy in Los Alamos probably leaked the information(6).
I will skip China, because it was a patent case of espionage to steal the design from the US and USSR(7), and covered in great detail in a 1999 US Congress report.
The story gets even more controversial in France, where General De Gaulle was incensed that the Chinese had an H-bomb before France... so the government pressured the scientists at the French AEC (CEA in French) to come up with... something.
After successful tests in 1968, Alain Peyrefitte, minister in charge of atomic affairs, claimed in his 1976 best seller "Le Mal Francais"(8), that the success was due mainly to Robert Dautray, a scientist from Saclay working in the civilian nuclear reactors department! A spineless CEA management did not actively correct the minister... until the daily Le Figaro published in 1993 an outrageous Dautray hagiography repeating Peyrefitte's baseless claim.
B. Lemaire, the scientific director of the Division of Military Applications (DAM) of CEA, took the initiative to respond to Figaro's article by writing a 1993 unclassified report(9) on the birth of the thermonuclear bomb (La Naissance du Thermonucleaire). He intended to publish it in the (open) monthly "Bulletin de la DAM"; however, Dautray, as CEA High Commissioner, blocked the publication.
The Lemaire report briefly describes the discovery of the key concepts by P. Billaud for the concept of cold compression of LiD before ignition, M. Carayol for the radiation-driven implosion of the LiD capsule in a hohlraum to obtain high compression, and L. Dagens for the elucidation of the LiD fusion cros-sections, and LiD-n-T breeding and burn cycle.
Nowhere in the Lemaire report is Robert Dautray, the self-proclaimed "pere"(10) of the French H-bomb, mentioned as having contributed something. The official inaction of the CEA management implicitly credited Dautray with the discovery, which eased his election to the Academy of Sciences and appointment as CEA high commissioner.
Of course, the moral question is what to do when somebody claims others' discoveries as their own, and reaps high honors and positions...
What could be done? In Germany in 2011 the Defense minister T. zu Guttenberg resigned in shame after it was discovered that he plagiarized parts of his doctoral thesis. A lesson for Dautray?
You can draw your own conclusions by reading the attached historical document.
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